La culture soufie à Fès

Du 27 avril au 2 mai 2007 se tiendra à la ville de Fès (Maroc), la première édition du Festival de la Culture Soufie, sous le titre «Soufisme et développement humain».

A ce sujet, nous reproduisons ce texte de Faouzi Skali Président de Par-chemins concepts, agence d’ingénierie culturelle.

Le Soufisme, voie d’éducation et d’enseignement spirituels, considéré comme le cœur de la tradition de l’Islam, s’est d’abord diffusé d’une façon informelle avant de se structurer, progressivement, à partir du XIème siècle (Vème siècle de l’Hégire).

La transmission de cet enseignement se fera, à partir du XIIIème siècle à travers des centres confrériques qui ont eu pour mérite de préserver la forme de culture, de spiritualité et de sociabilité propres à l’Islam à une époque de dislocation du monde musulman, en particulier sous l’impact des invasions mongoles.

Elles ont su surtout préserver un message de spiritualité universelle qui a irrigué l’ensemble de la culture musulmane et nourri ses expressions artistiques, littéraires mais aussi sociales et économiques. Pendant des siècles le soufisme a inspiré à la fois l’organisation et la charte éthique et spirituelle des corporations de métiers à travers l’ensemble du monde musulman.

Au Maroc les corporations de métiers sont traditionnellement liées aux Confréries soufies. Le rapport qui s’y établi entre spiritualité et développement sociétal et humain est inscrit naturellement dans sa culture et son histoire.
Ces centres confrériques, Zawiyas ou Ribats, ont joué un rôle traditionnel de médiation de paix entre communautés en vue de résolutions, ou de préventions, de conflits. Elles ont eu aussi pour vocation -sous l’égide du pouvoir monarchique- d’assurer, chaque fois que cela était nécessaire, une fonction de protection du territoire. Ce qui a donné lieu à une configuration historique globale dans laquelle s’intègrent ces Confréries et dont la clé de voûte est la Commanderie des Croyants.

Les Confréries religieuses soufies du Maroc ont par ailleurs connu avec le temps un rayonnement international et essaimé en une multitude de branches dans différents pays. Le cas des Zawiyas Tijaniya et Qadiriya en est, à ce titre, une illustration éloquente.

Les rôles de ces voies soufies à la fois d’enseignement, d’éducation civique et spirituelle, d’engagement pour le développement humain et de médiation de paix, en sus d’un legs culturel profond et créatif, a constitué la matrice de la culture islamique au Maroc.

Le soufisme, voie d’amour et de paix

Le soufisme, est l’approche mystique de l’islam. Voie d’amour et de paix dont le message d’universalité a franchi les frontières. De la Perse, la Turquie, de l’Egypte à l’Afrique occidentale et l’Andalousie, jusqu’en Inde, en Malaisie… il est source d’inspiration pour les poètes et voie d’amélioration pour les disciples. La quête de l’amour divin en est le mot d’ordre, de tout temps, les confréries soufies cherchent à se nourrir de cette lumière par la méditation, la contemplation, l’extase. Prenant racines dans tous ces lieux, le soufisme, fort de son universalité, prend de multiples formes cultuelles, culturelles et artistiques (architecture, danse extatique, musique ou chants, miniatures).

L’enseignement des Naqchabandi principalement en Asie, des Derviches Tourneurs en Anatolie et en Europe Balkanique, des Qadiri et des Chadilites majoritairement dans le Maghreb et au Proche-Orient et des Tijani en Afrique, illustre la richesse culturelle et spirituelle du soufisme. Grâce à l’enseignement des maîtres spirituels, les disciples des différentes voies spirituelles, aspirent à l’excellence du comportement. Dès le plus haut Moyen-Âge, on relève l’existence de traités de chevalerie (futuwah), notamment au sein de corporations de métiers, qui cherchent à mettre en pratique dans le monde, l’enseignement reçu au plus profond du coeur.

Le Maroc, terre fertile du soufisme

Il a été dit « Si l’Orient est la terre des prophètes, l’Occident (Maghreb) est la terre des saints (Awliya) ». Le soufisme marocain, existait dès les premiers siècles de l’hégire au Maroc. Son influence s’est prolongée à l’Est, jusqu’en Egypte, au Nord en Andalousie musulmane et au Sud, au Sahara et dans les pays de l’Afrique de l’Ouest.

Depuis le XI ème siècle, des maîtres illustres dont le rayonnement peut être considéré comme universel ont enseigné au Maroc : Citons à titre d’exemple, quelques noms de maîtres qui forment l’ossature du soufisme marocain :

Sidi Ali Ibn Hirzihim, Moulay Boua’za (dit aussi Abi Yaa’za), et son disciple Sidi Aboumediane Al Ghaout qui côtoya aussi Moulay Abdel Qader Al Jilani et Abderrahman Almadani… Moulay Abdesalam Ibn Mashish dont le sanctuaire célèbre est au sommet de la montagne Jbel ‘Alem.

Historique

A partir du XIII ème siècle deux branches importantes du soufisme universel : la Tariqa Qadiria (se réfère au Sheikh Moulay ‘AbdelQader Al Jilani, le saint de Bagdad).la Tariqa Shadilia (fondée par le cheikh ash Shadhili disciple de Moulay Abdesalam Ibn Mashish). Au cours de la deuxième moitié du XVIII ème siècle : la Tariqa Tijaniya (fondée par le Sheikh Sidi Ahmed at Tijani)

Fes, accueille le festival de la culture soufie

« Les artisans regroupés en guildes (asnaf) ou en chevalerie (futuwwah) ont choisi de se souvenir par l’expression artistique ». 1

Les expressions artistiques sont multiples et la démarche est une : lever un à un les voiles qui filtrent la lumière divine.

« Au fond de chaque individu, il y a un secret profond, un pacte (mithaq) qui le lie, au-delà des temps et des lieux, à l’essence de l’Etre ».

Les hommes de l’art ont fait de ce secret, leur ressource énergisante, leur muse créatrice, leur aspiration et leur inspiration, comme si leur œuvre devenait l’expression nostalgique de la pré-éternité. Créer, peindre, chanter, danser sont des formes multiples de méditations qui tentent humblement de traduire la lumière divine sous ses deux aspects de Beauté et de Majesté (jamal et jalal).

« La méditation naît de la foi et c’est cette attitude religieuse spécifique qui consiste à considérer toutes les manifestations du monde sensible comme autant de signes (ayat) de la présence invisible de l’Etre divin ».

La poésie & la musique, la calligraphie & la peinture, l’architecture & la science du symbole ont, depuis des siècles, tenté d’approcher la Perfection divine, en nous livrant des trésors de contemplations ; des nourritures pour le cœur et l’esprit.

1. Extrait du livre « le soufisme, expression de la quête mystique » éditions du seuil.

La poésie et la musique : samaa

Dans la poésie et les chants, la démarche mystique est souvent traduite par des sentiments amoureux. La soif d’amour, la joie des retrouvailles, les douces plaintes et les vives exaltations… L’aimant aspire à l’union, l’Aimé, le Transcendant, souvent symbolisé par un personnage féminin, Layla, Maya se dévoile progressivement. Le poète, le saint, s’approche de l’être Divin. La beauté de la contemplation se reflète dans la beauté des vers. Le cœur traversé par des fulgurances saisit l’allusion spirituelle et accède à un autre niveau de conscience. C’est ce que les soufis appellent : l’émotion extatique.

« Ces états intérieurs sont les effets de l’ivresse spirituelle qui se traduit par une sensation de submersion et un oubli de soi-même dont l’aboutissement est l’extinction dans la Présence divine. Ainsi l’audition mystique agit-elle comme un remède pour les âmes et une nourriture pour les cœurs. »

La prose et la poésie ont emprunté de nombreux thèmes à la Futuwwah. Autrement dit aux traités de chevalerie soufie, ensemble de traditions, coutumes et pratiques qui constituent le code de la vie chevaleresque musulmane au Moyen Age, au sens éthique et spirituel.

Les séances de samaa constituent une modalité particulière de l’Invocation divine au sein des confréries soufies, sous forme de chants a capella, les poésies sont récitées, de manière rythmée, mêlant respiration et états extatiques pour parfois, aboutir aux transes spirituelles, à l’anéantissement en Dieu.

‘allamûnî kayfa al masîru –ilâ Llâh

« On m’a appris comment cheminer vers Dieu »

« Même si je m’abreuvais de tous les océans,

ma soif ne pourrait s’étancher,

Demeurant ainsi assoiffé par l’Amour que je Vous témoigne,

Jusqu’au jour où je Vous rencontrerai.

Cette rencontre est la plus éminente de nos espérances ! »

La calligraphie de la peinture

La calligraphie considérée comme une science des plus complexes, se décline en deux grandes catégories : le kufique, aux caractères angulaires, et le cursif, aux caractères déliés. Elle est art, ornementation mais aussi science du symbole. Les mots, les lettres, se dessinent et rendent louange à Dieu. L’explicite et l’implicite se mélangent savamment, et évoquent le secret divin… « Les quatre lettres de ‘Allah’ peuvent se traduire ainsi :

« Le ‘Alif’ c’est l’ami ; le ‘Lam’, la proportion entre l’horizontal et le vertical, doublé il exprime le miroir ; et le ‘Ha’, c’est la respiration et l’Unité divine. 3

Les poètes mystiques arabes, persans ou turcs… fournissent les textes favoris des calligraphes. Certains vers célèbres ou particulièrement propices à une interprétation calligraphique sont devenus des exercices classiques…

La calligraphie est très utilisée pour l’ornementation des architectures les plus rares. Une de ces inscriptions, la plus répétée, est la bismillah, ou l’ouverture du Livre Révélé, que nous pouvons traduire par ‘Au nom de Dieu’, l’Infiniment Bon, le Miséricordieux’. Cette formule est d’une grande richesse calligraphique et permet de sublimes combinaisons graphiques.

« La frise exécutée par l’artiste doit amener le lecteur à voir le chemin de la révélation : tout doit passer par le texte sacré et y revenir, comme dans l’écriture cursive, dont chaque détour est un retour… Ces textes en vers ou en prose couvrent les bordures étroites et font le tour complet des salles. Ils jaillissent du stuc, du bois ou du marbre pour clamer la présence divine ». 4

3. Entretien avec Ghani Alani : www.soufisme.org

4. Textes extraits du livre d’André Paccard «Le Maroc et l’artisanat traditionnel Islamique dans l’architecture» Tome 1 – Ed. Atelier 74.

L’architecture et la science du symbole

Du carré à la sphère, de la terre au ciel, de la salle de prière à la coupole qu’elle supporte, le voyage spirituel se matérialise en architecture du symbole qui oriente et élève les esprits.

Le minaret d’où l’on fait l’appel à la prière, élan vertical faisant office de pont entre la terre et le ciel, le mihrab indiquant la qibla, « niche sacrée (qui) relève d’un symbolisme universel, […] implicitement confirmé par le Coran. Par sa forme même, […] image de la caverne du monde, sa voûte correspondant à celle du ciel, et son angle droit à la terre »5 , le minbar, pupitre duquel on présente les sermons dont « les marches qui permettent au prédicateur de monter en chaire représentent l’élévation spirituelle du maître ou du sheikh », ont été les meilleures sources d’inspiration des maîtres artisans du monde musulman, des Fatimides aux Alaouites, des Omeyyades aux Ottomans, du Maghreb en Orient. Chaque pièce est unique et devient une œuvre d’art à part entière.

De même toutes les typologies architecturales sont sources de créativité, les principes symboliques fondateurs sont inchangés mais la fonction en dicte l’agencement et l’art décoratif. La mosquée (lieu de prière), la madrasa (lieu d’enseignement), la zaouia (lieu de recueillement érigé généralement autour d’une sanctuaire) ont été des occasions rêvées pour les maîtres artisans d’exercer leur art mais surtout leur recherche de la perfection dans l’esprit d’un engagement spirituel. A chaque pierre posée, ils psalmodiaient « la ilaha illa allah » « il n’y a d’autres divinités que Dieu ». Le dhikr, comme l’acte de construire ou de créer a pour but le souvenir de Dieu. Il est dit dans le Coran : «Adhkourouni adhkourkoum» («pensez à moi, je penserai à vous»). Par l’invocation, la conscience naît et transparaît dans la créativité artistique.

Un message universel de paix et d’amour. Une même source d’inspiration, une même définition de l’espace sacré et une multitude d’interprétations créatives, allant de la riche culture arabo-andalouse (Mosquée de la Qaraouiine de Fès, de la Giralda à Séville), de l’élégance iranienne (Mosquée du Shah à Ispahan), au monumental ottoman (Mosquée de Suleyman le magnifique)… Colonnades, arcades outrepassées, Bartals ou Iwans, mosaïques, stucs, sculptures sur bois, motifs décoratifs génériques et à chaque fois extraordinairement nouveaux : grilles, nœuds, décorations fleuries, Amande, Sourcil, quille, feuille… la foi se traduit en pouvoir de l’art, l’expression artistique est le meilleur témoin du temps (Almoravide : simplicité des oasis du sud, Almohades : austérité des moines guerriers, Mérinide douceur de vivre et harmonie) et l’œuvre induit à la contemplation divine.

5. Titus Burkhardt.

La Mosquée El Qarawiyine

Symbole de l’histoire religieuse et spirituelle de Fès en particulier, et du Maroc en général, la mosquée El Qaraouiyine fut fondée en 857 par Fatima El Fihri, pieuse originaire de la ville de Qairawan (Tunisie). L’édifice fut agrandi une première fois en 955-56, et une seconde fois en 1135 par le Sultan Almoravide Ali Ben Youssef qui lui donna les dimensions actuelles. Son minaret, de forme carrée, date de la première époque. Ses spécificités architecturales et décoratives sont innombrables, en particulier son mihrab, les somptueuses coupoles en plâtre sculpté des Almoravides, les nombreux arcs décoratifs, les deux pavillons saâdiens du ‘sahn’ (patio), le grand lustre et les cloches transformées en lustre de la nef axiale, le précieux minbar almoravide. Ainsi devenue la plus grande mosquée d’Afrique du Nord (17 000m²), la mosquée pouvait rassembler jusqu’à 20 000 fidèles, venus du monde entier.

L’Université El Qarawiyine

L’édifice abrite également l’une des plus anciennes universités au monde (créée bien avant les universités européennes de Bologne, d’Oxford et de la Sorbonne), où l’on dispensait un enseignement pluridisciplinaire de haut niveau. Pendant plusieurs siècles elle est restée l’un des principaux centres intellectuels du Maghreb. 300 étudiants pouvaient y loger. On y suivait des cours des professeurs les plus réputés réputés, pour se préparer à des fonctions diverses, dans l’enseignement, les sciences, le notariat, la justice…. La grammaire, la théologie et le droit coranique étaient des matières les plus importantes.

A partir du Xe siècle, l’université s’est enrichie d’une bibliothèque. Avec plus de 30 000 volumes (dont 10 000 manuscrits, et certains d’une grande valeur : un coran manuscrit du IXe siècle, un manuscrit d’Ibn Rochd (Averroès) de 1320 et un autre de la Muqqadima offert par Ibn khaldoun lui-même, elle constitue aujourd’hui l’une des plus fameuses du monde arabe.

Medersa Bou Inania

Dernière médersa de la dynastie des Mérinides à Fès, elle fut construite par le sultan Abou Inan entre 1350 et 1355. D’une superficie de 1290 m², elle est située entre les deux grandes artères parallèles et descendantes nommées «Talla», à 150m de Bab Boujloud.

Cette medersa est la seule avec la medersa Saffarine à posséder un minaret. Les faces sont garnies d’entrelacs de mailles en briques sous fond de mosaïque de faïence verte. Une large frise polychrome couronne la tour.

Grand centre d’enseignement pourvu d’un patio en marbre traversé par une rivière, elle possède des chambres d’étudiants. En face de la medersa, se trouve l’horloge de bou inania. Daté de 1357, le mécanisme de cette clepsydre est en cours de restauration.