La colonisation intellectuelle

L’intellectuel colonisé et post-colonisé selon Frantz Fanon, Ali Shariati et Edward Saïd (partie I)

Source: Antigone-net

Girard Youssef

06-03-2007

«Où t’es-tu perdu, marcheur solitaire ? il te faut revenir sur tes pas ; dans ce désert on ne trouve que mort et désespoir»

Ali Shariati

«La grande nuit dans laquelle nous fumes plongés, il nous faut la secouer et en sortir. Le jour nouveau qui déjà se lève doit nous trouver fermes, avisé et résolus. Il nous faut quitter nos rêves et nos amitiés d’avant la vie. Ne perdons pas de temps en stériles litanies ou en mimétismes nauséabonds. Quittons cette Europe qui n’en finit pas de parler de l’homme tout en le massacrant partout où elle le rencontre, à tous les coins de ses propres rues, à tous les coins du monde.»

Frantz Fanon

L’intellectuel, selon la définition la plus couramment admise, est une personne dont la profession comporte essentiellement une activité de l’esprit ou qui a un goût affirmé pour les activités de l’esprit. Cette définition doit cependant être relativisée.

Dans une perspective gramciste[1], les intellectuels doivent être considérés en fonction de l’ensemble du système des rapports sociaux dans lesquels les activités intellectuelles et les groupes qui les personnifient sont situés. Les intellectuels doivent être étudiés en fonction des rapports de domination fondamentaux et des forces productives. Dans la société coloniale et post-coloniale un des rapports de domination axiale, pour ne pas dire le rapport de domination axiale, est celui qui permet la domination du colonisateur sur le colonisé et du post-colonisateur sur le post-colonisé ; et au-delà la domination de la civilisation occidentale sur les autres civilisations.

Selon Antonio Gramsci, les intellectuels sont les fonctionnaires des superstructures politiques, culturelles et sociales. Par leur action ils permettraient à la société politique d’assurer «légalement» et «loyalement» la discipline des groupes subalternes ; dans notre cas les colonisés ou les post-colonisés. Dans cette perspective, ils aident à l’organisation de la société civile, par la production du «consensus» de la majorité aux formes de vie, aux modes de comportement, de pensée et aux pratiques institutionnelles imposées par le groupe dominant, pour nous les colonisateurs, comme autant de forme de direction. L’intellectuel à donc une fonction éminemment politique et idéologico-culturelle.

L’intellectuel peut aussi avoir un rôle «subversif» en décidant de devenir un intellectuel organique d’une fraction dominée de la société. Il devient dès lors un grain de sable dans l’hégémonie construite par le bloc historique dominant. Dans cette perspective, les intellectuels participeront à la production d’un nouveau bloc historique par la mise en crise, sur le plan politique et idéologico-culturel, du rapport de domination entre dominant et dominé ; entre colonisateur et colonisé. La production de ce nouveau bloc historique passe par le refus des colonisés puis des post-colonisés, et notamment des «intellectuels» parmi ceux-ci, de l’acceptation passive leur de subalternité.

Ce refus de la subalternité est capital dans la lutte contre le colonialisme puisque sa structure repose entièrement sur une idéologie instituant une hiérarchie entre les différents groupes humains. Dans la société coloniale ou post-coloniale, le colonisé ou le post-colonisé représente physiquement le groupe dominé politiquement, institutionnellement, idéologiquement et culturellement. De fait l’»intellectuel» peut avoir un rôle capital dans le refus de cette domination.

Parmi les intellectuels du Sud qui refusèrent cette domination idéologico-culturelle Frantz Fanon, Ali Shariati et Edward Saïd eurent un rôle d’avant-garde intellectuel. Leur pensée s’est avant tout caractérisée par un refus de voir les cultures non occidentales enfermées dans un statut de subalternité. Tout trois se voulurent des penseurs critiques et autonomes face au discours dominant produit en Occident.

Frantz Fanon est né à Fort-de-France en Martinique en 1925 Engagé dans l’armée française durant la seconde guerre mondiale, il est blessé au combat et décoré de la croix de guerre. En 1947, bénéficiant d’une bourse d’état, Frantz Fanon s’installe dans l’hexagone afin d’étudier le médecine à la faculté de Lyon. Il décide de se spécialiser en psychiatrie. En 1952, il publie son premier ouvrage, Peau noire masques blancs, dans lequel il aborde les rapports inégalitaires entre Noir et Blanc. L’année suivante, il est nommé à l’hôpital psychiatrique de Blida en Algérie. De là, il observe la réalité des rapports de dominations coloniaux, c’est-à-dire d’un monde dominé par les colonisateurs européens. Quelques mois après le déclanchement de la révolution algérienne, Fanon rentre en contact avec le Front de Libération National. En 1956, Frantz Fanon démissionne de son poste de médecin psychiatre et rallie le FLN. Il devient collaborateur de la presse nationaliste algérienne et publie en 1959 un essaie fracassant, L’an V de la révolution algérienne. Peu après il apprend qu’il est atteint d’une leucémie. Franz Fanon meurt en décembre 1961 alors que son ouvrage majeur, Les damnés de la terre, sort des imprimeries des éditons Maspero. Ouvrage culte, des sa sortie Les damnés de la terre exerça une influence considérable sur une grande partie des intellectuels et des militants des pays du tiers-monde, et notamment sur Ali Shariati et Edward Saïd.

Ali Shariati est né en 1933 à Mazinan dans le Nord-est de l’Iran En 1952, à la fin de son 1ier cycle des études secondaires, il devient enseignant des lycées. L’année suivante il adhère au Mouvement de Résistance Nationale qui défend les idées de Mossadegh. En 1955, il rentre à la faculté des Lettres de Machad. Il obtient une bourse qui lui permet de se rendre en France en 1959. Là, il entre en contact avec le FLN et découvre l’œuvre de Fanon qu’il traduit partiellement en persan. Outre ses activités militantes il suit les cours de Louis Massignon, Jacques Berque et Georges Gurvitch. En 1963, il obtient un doctorat ès lettres à la Sorbonne. Il retourne en Iran 19 64 et devient professeur à l’université de Machhad jusqu’en 1972. Il donne de nombreuses conférences à travers tout le pays mais il est finalement interdit de publication et de toute intervention publique par la SAVAK, la police secrète du Shah d’Iran. Entre 1973 et 1975 il est détenu durant dix-huit mois par cette même police secrète. Le 17 mai 1977, Ali Shariati quitta l’Iran pour l’Angleterre. Deux mois plus tard, le 19 juin, il fut retrouvé mort à Southampton sans que les causes de cette mort mystérieuse ne soient vraiment élucidées. Ali Shariati exerça une influence considérable sur toute une génération d’iranien et plus généralement dans l’ensemble du monde musulman. Car Ali Shariati, à la différence de Frantz Fanon ou d’Edward Saïd, était un homme de foi et il étudia les problèmes sociopolitiques «en intellectuel et en croyant»[2] pour reprendre ses propres termes. A ce titre il peut être considéré comme l’un des précurseurs de ce que Hassan Hanafi appellera plus tard la «gauche islamique» ou d’une «théologie islamique de la libération».

Enfin, Edward W. Saïd est né en 1935 à Jérusalem Il passa son adolescence en Égypte puis parti poursuivre ses études aux Etats-Unis. Edward W. Saïd fut professeur de littérature anglaise et de littérature comparée à la Columbia University de New York. Dans son ouvrage majeur, L’Orientalisme, publié en 1978, il analysa le système de représentation par lequel l’Occident a créé puis enfermé l’Orient. Puis, dans la dernière partie de sa vie, Edward Saïd s’est battu contre la diabolisation de l’Islam et pour la dignité du peuple palestinien. Homme engagé, il fut membre du Conseil national palestinien à partir de la fin des années 1970. Il du démissionner du fait de son opposition aux accords d’Oslo et à la politique de Yasser Arafat, qui fit interdire ses livres dans les territoires «autonomes» palestiniens. Pour lui, «l’autonomie n’est rien d’autre que la poursuite de l’occupation par d’autres moyens «. Edward Saïd était opposé au partage de la Palestine et se déclara pour la constitution d’un état bi-national. Il défendit une conception exigeante du rôle de l’intellectuel engagé. Il analysa les réalités du brassage des cultures et affirma que les oppositions entre les civilisations sont des constructions humaines. Edward Saïd fut largement influencé par Frantz Fanon comme en témoigne son ouvrage intitulé Culture et impérialisme. Dans ce livre il qualifie Les damnés de la terre d’ouvrage «visionnaire et novateur». Atteint d’une leucémie, Edward Saïd est décédé en septembre 2003.

Comme nous venons de le voir, ces trois intellectuels, dont nous allons étudier les positions, ont joué un rôle particulièrement important dans la lutte idéologico-culturelle menée par les peuples et les cultures dominés dans le monde colonial et post-colonial. Tous trois peuvent être considérés comme des références de la lutte idéologico-culturelle en pays colonisés.

Intellectuel colonisé, intellectuel aliéné

Le principal problème développé dans les études par nos trois auteurs est sûrement celui de l’aliénation, recouvrant par là même des problèmes plus spécifiques à l’homme colonisé et post-colonisé que sont l’acculturation, la dépersonnalisation ou encore la fausse conscience, des intellectuels du Sud dans leur rapport à la culture occidentale. Ces phénomènes que Léopold Sédar Senghor appela, dans une belle formule, «l’arrachement de soi à soi» c’est-à-dire «à la langue de ma mère, au crâne de mon ancêtre, au tam-tam de mon âme». Dans sa relation à la culture occidentale le colonisé incorpore le regard dévalorisant que l’Occident porte sur sa culture, son peuple où sa civilisation et devient, par la force de ce discours hégémonique, un aliéné.

L’aliénation peut être définie comme un état dans lequel un individu, par suite de conditionnements extérieurs, économiques, politiques ou/et culturels, cesse de devenir maître de lui-même et se transforme en esclave, simple objet entre les mains d’autres hommes. Réifié par le colonisateur, le colonisé est soumis à un statu social et à des conditions de vie qu’il ne peut modifier sans bouleverser l’ensemble de l’ordre social.

Pour nos trois auteurs, l’intellectuel colonisé auquel on a enseigné la supériorité de la culture occidentale par rapport à sa propre culture est objectivement aliéné Pendant des années il a tout fait pour faire sienne une culture qui lui enjoignait de se départir de sa culture d’origine, considérée comme inférieure et archaïque. Cette culture inculquée le condamnait à haïr son être profond et à adorer la culture de son oppresseur. Le stigmate visible de cette aliénation peut se voir dans le mépris dans lequel l’intellectuel colonisé ou post-colonisé tient sa propre culture ou son propre peuple. Bien des fois ils se sentent étranger à ceux qu’ils considèrent trop souvent comme des arriérés, aux coutumes «barbares».

Aliéné, dépersonnalisé, l’intellectuel colonisé a tout fait pour assimiler et s’assimiler à la culture occidentale, c’est-à-dire à la culture dominante. Il a participé, souvent de manière inconsciente et sous la pression du monde culturel dominant, à sa propre aliénation. Selon Frantz Fanon, «l’intellectuel colonisé s’est jeté avec avidité dans la culture occidentale. Semblable aux enfants adoptifs, qui ne cessent leurs investigations du nouveau cadre familial que le moment où se cristallise dans leur psychisme un noyau sécurisant minimum, l’intellectuel colonisé va tenter de faire sienne la culture européenne. Il ne se contentera pas de connaître Rabelais ou Diderot, Shakespeare ou Edgard Poe, il bandera son cerveau jusqu’à le plus extrême complicité avec ces hommes.»[3]

D’après Ali Shariati le stigmate même de l’aliénation se trouve dans les goûts culturels que les jeunes intellectuels colonisés ont développé ou plus exactement que l’on a développé chez eux. Loin de se passionner pour les écrits de philosophes, d’historiens ou de divers écrivains qui partagent objectivement les mêmes conditions sociales et les mêmes conditions idéologico-culturelles qu’eux, leurs regards se tournent exclusivement vers cet Occident dominateur qui les aliènes. Par l’absence d’un regard critique sur la production culturelle de l’Occident et par l’ignorance de la production intellectuelle des autres pays du Sud, l’intellectuel colonisé et post-colonisé entretien et renforce les chaînes qui l’attachent à la culture dominante. «Un de mes regrets, nous confie Ali Shariati, est que nous ne connaissons pas les penseurs qui souffrent des mêmes maux que nous, qui ont des besoins, un milieu, une histoire, une conjoncture semblable aux nôtres, qui proposent pour leur société des solutions pouvant nous être instructives. Nous connaissons les penseurs qui, en principe, ont des idées – même si elle sont justes -, une doctrine – même si celle-ci ne manque pas de profondeur -, des solutions – même si elles sont appropriées – ne répondant pas à nos problème.

Au lieu de connaître les grands penseurs africains ou asiatiques de ce siècle qui ont pu arriver – à travers leur prise de conscience nationale, orientale et mondiale – à de nouvelles solutions – on n’a même pas entendu leurs noms -, on se lance à corps perdu dans la connaissance de gens tels que Brecht, Becket, Xénakis qui ne nous concernent nullement même s’ils sont, comme Brecht, progressistes, lucides, éclairés, éclairants.»[4]

Edward Saïd fait globalement le même constat que Frantz Fanon et Ali Shariati quant à la domination idéologico-culturelle qu’exerce l’Occident sur les autres cultures. Selon lui le capitalisme est directement responsable de la domination idéologico-culturelle de l’Occident et, de fait, de l’aliénation des intellectuels du Sud. «L’économie de marché occidentale, tournée vers la consommation, a produit (et continue à produire à une vitesse accélérée) une classe instruite dont la fonction intellectuelle est dirigé de façon à satisfaire les besoins du marché. L’accent est mis, très évidemment, sur les études d’ingénieur, de commerce et d’économie ; mais l’intelligentsia se fait elle-même l’auxiliaire de ce qu’elle considère comme les principales tendances qui ressortent en Occident. Le rôle qui lui a été prescrit est celui de «moderniser», ce qui veut dire qu’elle accorde légitimité et autorité à des idées concernant la modernisation, le progrès et la culture qu’elle reçoit en majeur partie des Etats-Unis». Edward Saïd de conclure que «s’il y a un acquiescement intellectuel aux images et aux doctrines de l’orientalisme, celui-ci est aussi puissamment renforcé par les échanges économiques, politiques et culturels ; bref, l’Orient moderne participe à sa propre orientalisation.»[5]

Ces intellectuels qui participent à l’orientalisation de l’Orient moderne, sont incapables de produire les réponses idéologico-culturelles dont le monde arabo-islamique contemporain à besoin pour se défendre contre l’impérialisme occidental en général et l’impérialisme américain en particulier. Pire, ils participent objectivement au renforcement de cet impérialisme en agissant comme ses représentant locaux. Selon Edward Saïd, «on peut très bien compter cette adaptation de la classe intellectuelle au nouvel impérialisme comme un triomphe de l’orientalisme. Le monde arabe est aujourd’hui un satellite des Etats-Unis du point de vue intellectuel, politique et culturel»[6].

Saïd poursuit en évoquant la formation de ces jeunes intellectuels dans les universités occidentales et le caractère aliénant de ce type de formation. Les formations ressues seront, selon lui, un outil majeur de reproduction des rapports de domination culturelle dans les pays d’origines de ces étudiants et de renforcement de l’orientalisme en Occident même. Selon l’intellectuel palestinien, «les étudiants (et les professeurs orientaux) souhaitent toujours s’asseoir aux pieds des orientalistes américains, avant de répéter devant un public local les cliché s que j’ai décrits comme des dogmes de l’orientalisme. Avec un système de reproduction comme celui-ci, il est inévitable que le savant oriental se serve de sa formation américaine pour se sentir supérieur à ses compatriotes, du fait qu’il est capable de maîtriser le système orientaliste ; dans ses relations avec ses supérieurs, les orientalistes européens ou américains, il ne sera qu’un «informateur indigène». Et c’est bien en cela que consiste son rôle en Occident, s’il a la chance d’y rester une fois ses études terminées.»[7]

Finalement pour Edward Saïd la décolonisation et les différentes luttes anti-impérialistes qui ont eu lieu depuis un siècle dans le monde arabo-islamique et dans l’ensemble des pays du Sud n’ont pas bouleversé les structures fondamentales de la domination occidentale. Selon lui, «Deux facteurs rendent le triomphe de l’orientalisme encore plus évident. Dans la mesure où l’on peut généraliser, les tendances de la culture contemporaine du Proche-Orient suivent des modèles européens et américains. Quand Taha Hussein disait, en 1936 de la culture arabe moderne qu’elle était européenne, et non pas orientale, il ne faisait qu’enregistrer l’identité de l’élite naturelle égyptienne, dont il était un membre distingué. Il en est de même de l’élite arabe d’aujourd’hui, bien que le puissant courant d es idées anti-impérialistes du tiers monde qui ont saisi la région, depuis les années 1950, ait émoussé le tranchant occidental de la culture dominante.»[8]

Ce suivisme de la culture du Proche-Orient contemporain, et au-delà de l’ensemble des pays du Sud, vis à vis de l’Occident est le stigmate même de l’aliénation contre laquelle l’intellectuel avide d’émancipation face à la culture dominante devra se défaire dans la lutte idéologico-culturelle.

De l’aliénation à la réappropriation culturelle

Face à la domination idéologico-culturelle de l’Occident et l’aliénation qu’elle provoque chez lui, l’intellectuel colonisé n’a d’autre solution, s’il ne veut pas être définitivement réifié par la culture dominante, que de revenir à sa propre culture, à ses propres sources, à son être profond. La réappropriation culturelle peut être définie comme la volonté, d’un individu ou d’un groupe, de refaire sienne une culture dont il se considère l’héritier et face à laquelle il avait été mis dans une situation d’extériorité. La situation d’extériorité de l’intellectuel colonisé ou post-colonisé, par rapport à la culture dont il est l’héritier, découle directement de sa position d’aliéné dans laquelle l’a placé la domination coloniale ou post-coloniale. Cette réappropriation culturelle est une étape indispensable permettant d’aboutir à une véritable indépendance politique, économique et culturelle. En effet, pour nos trois auteurs une indépendance qui ne serait que politique ne serait qu’une indépendance formelle puisque les esprits resteraient toujours enchaînés à la culture dominante et aux structures économiques perpétuant l’ancienne domination.

Face à l’Occident, l’intellectuel colonisé ou post-colonisé qui œuvre dans la voie de la réappropriation culturelle, en a terminé avec les justifications, les interminables commentaires pour expliquer telle ou telle de ses habitudes, ses idées, ses coutumes ou ses modes de vie. L’intellectuel désaliéné assume son identité, sa différence, ses particularismes, son originalité.

L’intelectuel désaliéné ne dira plus pour reprendre les mots d’Aimé Césaire : «je ne suis pas différent de vous ; ne faite pas attention à ma peau noire : c’est le soleil qui l’a brûlé» Non une fois désaliénée il assume son africanité, son arabité, son islamité. Il est ce qu’il est et peu importe ce qu’en penseront les tenants de l’ordre colonial et post-colonial. Afin d’assumer son identité et pour briser les chaînes qui l’attachent à la culture dominante, l’intellectuel colonisé devra revenir vers à ses racines culturelles, celles de la culture de son peuple, la langue de sa mère, le crâne de son ancêtre. Cela sera une étape nécessaire dans le processus de désaliénation qui mènera l’intellectuel colonisé du suivisme aveugle de l’Occident culturel à l’indépendance idéologico-culturelle.

Selon Frantz Fanon, «pour assurer son salut, pour échapper à la suprématie de la culture blanche le colonisé sent la nécessité de revenir vers des racines ignorées, de se perdre, advienne que pourra, dans le peuple barbare. Parce qu’il se sent devenir aliéné, c’est-à-dire le lieu vivant de contradictions qui le menacent d’être insurmontables, le colonisé s’arrac he du marais où il risquait de s’enliser et à corps perdu, à cerveau perdu il accepte, il décide d’assumer, il confirme. Le colonisé se découvre tenu de répondre de tout et de tous. Il ne se fait pas seulement le défenseur, il accepte d’être mis avec les autres et dorénavant il peut se permettre de rire de sa lâcheté passée»[9].

La désaliénation de l’intellectuel colonisé ou post-colonisé, d’après Ali Shariati, doit se faire par une rupture consciente avec certaines questions posées par les intellectuels occidentaux qui ne sont pas des questions prioritaires pour les populations qui appartiennent à des peuples et des cultures dominés. L’intellectuel colonisé ne doit plus dépendre culturellement et idéologiquement des questions posées par l’Occident mais doit être capable de poser de manière autonome ses propres questions, de développer ses propres problématiques et de chercher ses propres réponses. Il doit être capable d’établir la hiérarchie des priorités dans son questionnement idéologico-culturel. S’il ne le fait pas, il deviendra l’un des principaux propagateurs d’une fausse conscience parmi la masse dominée et finalement l’égarera au lieu de lui fournir les armes intellectuelles de son émancipation. «Si j’étais, nous dit Ali Shariati, Allemand j’adorerais Brecht ; mais étant Iranien, je n’entends absolument pas sa langue et je ne sais pas à quoi Brecht peut me servir. Il a d’autres préoccupations, d’autres maux – pour lesquels il a prescrit tels remèdes – que moi ; il a mal à la tête alors que j’ai mal au ventre ; sa prescription ne me concerne pas, comment pourrait-elle me soulager ? Brecht a vu deux guerres internationales, il a derrière lui trois siècles de machinisme. Moi, je n’ai pas, comme lui, vu la guerre mondiale ; je ne sais pas du tout ce qu’est le machinisme, ce qu’est la bourgeoisie ; aussi, sa philosophie ne m’est d’aucun recours. Si je suis inquiet, c’est pour mon combustible d’hiver, pour mon travail, pour l’éducation de mon enfant. Telle est mon inquiétude. Celle de Brecht est d’un tout autre ordre : il se demande ce qu’il est dans cette existence.»[10]

Ali Shariati poursuit en mettant en garde contre ceux qui ne font qu’importer les questionnements intellectuels de l’Occident dans les pays colonisés ou post-colonisé. Pour lui continuer sur cette route d’un suivisme aveugle de l’Occident ne peut conduire les peuples dominés du Sud qu’a une impasse dangereuse pour leur avenir. «Ceux qui imprègne – avec sincérité et bonne foi – la mémoire de nos intellectuels de problèmes existentiels, culturels, idéels, philosophiques, sociaux et humains propres à l’Occident d’après-guerre, ceux qui rendent l’intellectuel oriental ultre-sensible – en fait, sensiblerie et non pas sensibilité – aux questions qui se posent en Europe, aux doctrines très progressistes en vogue en Occident et non en Orient, éloignent le peuple et l’intellectuel oriental de ses propres réalités, des ses responsabilités concrètes ; et, finalement, alors même qu’ils croient sincèrement servir et éclairer, ils deviennent facteurs de décadence et de duperie.»[11]

Comme le préconise Ali Shariati, le retour à lui-même de l’intellectuel colonisé doit tout d’abord passer par une relecture critique de la culture occidentale qui lui a été inculquée. Cette relecture critique doit lui permettre non pas de rejeter globalement la culture occidentale mais de sortir de la fascination aliénante qu’exerce celle-ci sur les jeunes intellectuels colonisés et post-colonisés.

Après cette relecture critique, l’intellectuel colonisé devra revenir à sa culture d’origine, à la culture du peuple desquelles il s’était détaché. Selon le psychiatre martiniquais «l’intellectuel colonisé décide de procéder à l’inventaire des mauvaise manières puisées dans le monde colonial et se dépêche de se rappeler les bonnes manières du peuple, de ce peuple dont on a décidé qu’il détenait toute la vérité. Le scandale que déclenche cette démarche dans les rangs des colonialistes installés sur le territoire renforce le décision du colonisé. Lorsque les colonialistes, qui avaient savouré leur victoire sur ces assimilés, se rendent compte que ces hommes que l’on croyait sauvés commencent à se dissoudre dans la négraille, tout le système vacille. Chaque colonisé gagné, chaque colonisé qui était passé aux aveux, lorsqu’il décide de se perdre est non seulement un échec pour l’entreprise coloniale, mais symbolise encore l’inutilité et le manque de profondeur du travail accompli. Chaque colonisé qui repasse la ligne, est une condamnation radicale de la méthode et du régime et l’intellectuel colonisé trouve dans le scandale qu’il provoque une justification à sa démission et un encouragement à persévérer.»[12]

Afin de repasser «la ligne», l’intellectuel colonisé doit, d’après Ali Shariati, se tourner vers de nouvelles sources de réflexion. Il doit établir un dialogue intellectuel avec les autres peuples dominés qui ont des problèmes comparables, voire même identiques, aux siens. Pour cela, l’intellectuel colonisé doit impérativement s’ouvrir à l’ensemble de la culture produite dans les pays du Sud et se détacher de la culture dominante produite en Occident. Selon Ali Shariati, «au lieu de Brecht nous devrions connaître Kateb Yassine ; au lieu de Jean-Paul Sartre, Omar Mawloud ou Amar Ouzeghane ; à la place d’Albert Camus, Aimé Césaire et Franz Fanon. En les connaissant, nous nous reconnaîtrions, alors qu’en nous tournant vers ces intellectuels occidentaux, nous nous éloignons de nous-mêmes d’autant plus que nous les comprenons»[13].

Ali Shariati qui est un musulman pratiquant, voit dans la spiritualité un moyen actif de résister à la domination culturelle et de lutter contre l’aliénation. Cela peut paraître surprenant vu d’Europe ou le sentiment religieux a souvent été dénoncé par les «progressistes» comme une des formes les plus perverses d’aliénation. La décolonisation nécessite une rupture avec les conceptions occidentalo-centristes du monde même lorsqu’elles sont le fait des plus progressistes.

La spiritualité est perçue par Ali Shariati comme l’outil central de la libération de l’homme colonisé ou post-colonisé Dans la perspective de l’intellectuel iranien, l’Islam n’est pas seulement une foi individuelle mais le fond culturel, la source profonde d’inspiration, qui doit permettre aux dominés, aux «mostadhafin» pour reprendre ses termes, de résister à la domination occidentale. En fait, il développe une véritable théologie politique qui insiste sur la dimension politique et sociale qu’induit, où que devrait induire, le sentiment religieux. Il refuse la tendance bourgeoise à «privatiser» la religion c’est-à-dire à faire de la foi une affaire purement privée au service des fêtes traditionnelles, d’un réconfort hédoniste et d’un espoir d’un salut purement individuel. La croyance doit, selon lui, nécessairement déboucher sur un engagement public du croyant en faveur de tous les opprimés, les «mostadhafin», et pour une justice globale, c’est-à-dire aussi bien sociale que politique et culturelle.

«En Iran, nous dit-il, pour éviter que la jeune génération qui reconnaît ces trois dimensions dans l’islam [dimension spirituelle, de justice sociale et de liberté de l’homme] – et notamment dans le domaine social, perçoit ses positions anti-exploitation, anti-colonialiste et progressiste – ne se trouve en position d’infériorité idéologique face au marxisme ou à la civilisation européenne ou américaine, il faut renforcer et nourrir la spiritualité.

Le savoir spirituel est le seul qui élève la valeur existentielle de l’homme à un degré qui le protège contre tout sentiment d’infériorité face à la grandeur occidentale. Il lui fait découvrir en lui-même une valeur sublime qui le préserve du complexe l’infériorité face à l’idéologie matérialiste de Marx et du communisme.

Le renforcement du spirituel est à mon avis d’une importance primordiale pour nos jeunes. J’ai eu l’occasion de travailler avec des jeunes de 15-16 ans. L’âge où leur sensibilité vis-à-vis des problèmes sociaux et économiques est intense, leur esprit étant nourri par un islam tel qu’il leur est présenté actuellement, dès qu’ils ont accès à l’Introduction à la critique de l’économie politique, au Capital ou à d’autres œuvres socialistes et révolutionnaires, ils découvrent que cette dimension de «justice sociale» y est bien mieux expliquée. Alors leur tendance est de dire : «pourquoi attendre que nos propres leaders écrivent notre «Manifeste» ? Celui de Marx est sans cesse réédité depuis cent ans. Alors ne perdons pas de temps.»

Le glissement s’opère automatiquement et faut proposer aux jeunes cette essence qui manque au marxisme comme à l’homme bourgeois. Il faut offrir à son esprit cette approche, cette mission que ne peut contenir, ni suggérer, l’idéologie marxiste, à savoir l’essence mystique.»[14]

Cependant la nécessité de développer la spiritualité chez les jeunes intellectuels s’oppose chez Ali Shariati à un ritualisme formel qui ne ferait, selon lui, qu’éloigner les jeunes de la spiritualité et de la religion populaire. L’intellectuel iranien veut éviter les réactions anti-ritualistes de certains intellectuels des pays dominés qui repousse sans les analyser les contraintes de la tradition se tournant du même coup définitivement vers l’Occident pour trouver une issue à leur questionnement identitaire dans la fuite vers ’l»autre» dominateur et aliénant. Il veut, ainsi, les soustraire à l’image de l’Islam incarné par les «bigots traditionnels»[15] et des «pratiques religieuses stéréotypées», images qui se sont souvent développées chez les intellectuels colonisés. Une fois cette spiritualité active développée dans l’esprit de ces jeunes toutes formes d’aliénation sera, selon Ali Shariati, rendue impossible. L’intellectuel colonisé aura les armes idéologico-culturelles pour se défendre contre la fascination que la culture dominante de l’Occident exerce sur sa génération et sur l’ensemble du monde dominé.

Mais comment s’exerce cette domination idéologico-culturelle ? Comment c’est mise en place une relation ontologiquement inégalitaire qui unit fondamentalement savoir et pouvoir, dans les relations entre l’Occident et les «autres» ?

Condition du rapport de domination idéologoco-culturelle

Ces questions qui traversent la réflexion de nos trois auteurs furent posées en terme très clair par Ali Shariati. «Qu’a fait l’Occident pour parvenir à aliéner l’Orient de ses ressources matérielles, à le rendre inapte à les exploiter ? Qu’a-t-il fait pour le couper de ses sources spirituelles, pour le rendre incapable de les mettre en valeur ? «[16]

Loin de donner une réponse simple, pour ne pas dire simpliste, qui ferait que la domination occidentale dépendrait uniquement de sa supériorité militaire, technique et économique, Edward Saïd considère le fait idéologico-culturel comme central dans le rapport de domination existant entre l’Orient et l’Occident. De fait le rapport de domination idéologico-culturelle est rendu possible par l’acceptation de leur subalternité par les intellectuels du Sud et par l’absence de réelle politique culturelle des Etats du Sud, et notamment dans le monde arabo-islamique, pour sortir de la dépendance idéologico-culturelle dans laquelle on cherche a le maintenir. Selon l’intellectuel palestinien, «la domination culturelle se maintient, tout autant par le consentement des Orientaux que par une pression économique directe et brutale des Etats-Unis. Par exemple, voici qui peut nous faire réfléchir : alors qu’il existe des douzaines d’organisations aux Etats-Unis qui étudient l’Orient arabe et islamique, il n’y a en aucune en Orient qui étudie les Etats-Unis»[17].

Pourtant, l’étude de l’Occident fut préconisée par Ali Shariati, il considérait cette étude comme un outil nécessaire au peuple dominé par l’Occident pour rompre leur subalternité L’intellectuel iranien disait qu’»il faut savoir que le meilleur instructeur pour une nation luttant pour conquérir son indépendance et sa propre personnalité nationale n’est autre que son ennemi, celui même qui lui a ôté cette personnalité nationale. Il nous faut donc connaître comment l’Occident nous a privé de nos sources culturelles et spirituelles, comment il a fait de nous, Orientaux, une génération incapable d’exploiter ces immenses mines regorgeant des richesses de l’esprit, de la pensée, de la morale, de la culture – au sens large – inapte à transformer ces abondantes réserves intellectuels. Il nous faut reconnaître les chemins qu’il a parcourus, les méthodes qu’il a pratiquées, les tours et ruses qu’il a employés pour parvenir à ses fins. Il nous faut comprendre comment cet Orient qui brillait par sa culture et son esprit, que l’on considérait comme origine de la culture mondiale et berceau de la civilisation humaine, est devenu aujourd’hui synonyme de sauvagerie, d’arriération et décadence.»[18]

Edward Saïd constate amèrement que «les conditions actuelles rendent presque grotesque la réalité des programmes : des classes de centaines d’étudiants, des enseignants mal formés, surmenés et sous-payés, nommés pour des raison politiques, l’absence complète de recherche fondamentale et même de possibilité de recherche, et, plus grave, le fait qu’il n’existe pas une seule bibliothèque convenable de la région (le Proche-Orient).»[19] Cela entretien ce qui peut apparaître presque comme une évidence aujourd’hui, la stagnation intellectuelle de monde arabo-islamique face à l’Europe et à l’Amérique du Nord.

Ainsi le monde arabo-islamique participe à sa propre «subaternisation» par le manque d’investissement qui est fait dans la recherche. Pour Edward Saïd, «le monde arabe et islamique reste une puissance de deuxième ordre par sa production de culture, de savoir et d’érudition.»[20] L’intellectuel palestinien constate en dernier ressort, qu’»aucun savant arabe ou islamique ne peut se permettre d’ignorer ce qui se fait dans les périodiques, les instituts et les universités des Etats-Unis et d’Europe ; l’inverse n’est pas vrai.»[21]

Le fait que l’Orient, et au-delà l’ensemble des pays du Sud, ait toujours été un objet pour les études historiques, sociales, politiques et culturelles, reflète assez bien les rapports dominants / dominés qui existent entre les deux entités. Les uns sont objets d’études et les autres élaborateurs du discours sur cet objet d’étude. Cela permis à l’Occident de tenir un discours, étonnamment stable, sur les «autres». Pour Edward Saïd l’Orient, dans le discours élaboré au Nord, n’est que le double, le contraire l’incarnation des craintes et du sentiment de supériorité de l’Occident. Au final, le Sud et ses populations demeurent l’objet muet d’un discours élaboré dans le Nord.

De fait, la domination idéologico-culturelle est perceptible même dans les cercles les plus progressistes du monde arabo-islamique Même là, il est difficile de rompre l’hégémonie culturelle de l’Occident. En effet, ceux qui sont parmi les plus avancés dans la voie de l’émancipation politique et économique sont parfois de simples suiveurs sur le plan idéologico-culturel. Incapable de se détacher des modèles construits en Europe, ils ne font que répéter ce qu’ils y ont étudié sans le moindre effort d’adaptation en rapport avec l’univers culturel dont il sont issus. Selon Edward Saïd, on «trouve un témoignage frappant [de l’hégémonie culturelle occidentale] dans les sciences sociales et, chose étonnante, chez des intellectuels progressistes dont le marxisme est pris en gros chez Marx, dans ses idées qui font du tiers monde un tout homogène»[22].

La domination idéologico-culturelle que subissent les pays du Sud va de pair avec d’autres formes de domination. L’affranchissement de la domination idéologico-culturelle doit permettre aux peuples opprimés de se libérer en même temps de la domination politique, militaire et économique. «Nous voyons, affirme Ali Shariati, une analogie entre le destin économique et destin spirituel de l’Orient, une analogie étroite. Une nation qui ne peut, au point de vue technique, produire ses propres ressources matérielles restera, tout en possédant de telles ressources, dans le besoin. De même, une nation qui ne peut connaître et exploiter ses sources culturelles et spirituelles, qui s’avère incapable de les passer au crible pour les transformer en énergie positive, demeurera ignare et à la traîne, même si elle détient tout un amas de sources. Cette similitude se retrouve au niveau du rôle des ressources culturelles ou matérielles dans l’évolution de la société : une société qui ne peut exploiter par ses propres moyens ses ressources, fait appel à celle qui en est capable et, bientôt, elle constate que sa pitance provient de l’étranger. Au niveau culturel les conséquences sont analogues puisque l’Europe éclairée, qui connaît mieux que nous autres, Orientaux, l’Orient, interprète nos sources culturelles et spirituelles, construit des écoles, et des idées nouvelles. De sortes qu’incapables de produire une connaissance véritable de notre culture, nous nous trouvons dépendants des bouchées qu’ils jettent devant l’intellectuel oriental. D’ailleurs, celui-ci ne réalise pas que ces bouchées contiennent ses propres matières premières ; il ne comprend pas que si, aujourd’hui, on le traite d’arriéré, de sauvage, d’ignorant, de miséreux, c’est parce qu’il a montré qu’il n’avait pas les qualités requises pour exploiter et mettre en œuvre ses propres ressources culturelles.

Par conséquent, l’Orient se doit d’œuvrer non seulement pour connaître ses ressources en matières premières et la technique de leur exploitation et de leur transformation en énergie et en matière de consommation, mais aussi afin d’exploiter et de tamiser ses ressources culturelles ; c’est ainsi qu’il pourra se libérer de la misère et du sous-développement, qu’il pourra atteindre le bien-être spirituel, la créativité et le progrès intellectuel et de l’esprit ; tout comme il s’efforce de ne plus dépendre des produits de consommation et de l’industrie européenne : indépendance économique, l’Orient doit s’appliquer à ne plus dépendre de la production spirituelle occidentale et de ses objets de consommation idéologique ; indépendance morale et spirituelle. Il n’est pas possible qu’une nation puisse devenir économiquement indépendante sans l ’être spirituellement ; ces deux libérations sont complémentaires et liées. Autrement dit, je dois acquérir, du point de vue de l’esprit et de la conscience, une personnalité indépendante de l’Occident afin de pouvoir me trouver une personnalité économique, sociale et matérielle véritablement autonome ; et, vice versa…»[23]

Afin de d’être réellement indépendant de l’Occident et de rompre avec le discours construit dans les lieux de production du savoir du Nord, l’intellectuel colonisé devra, comme le préconise Frantz Fanon et Ali Shariati, faire un retour sur l’histoire de son peuple, de son continent, de sa civilisation. Se retour à l’histoire ira bien souvent de pair avec une recherche d’authenticité culturelle qui est assez proche du phénomène de réappropriation culturelle évoqué plus haut.

[1] En référence au philosophe italien Antonio Gramsci (1891-1937) Cf. Gramsci, Texte, ed. Sociales, 1983

[2] Ali Shariati, Histoire et destinée, Ed. Sindbad, 1982, page 34

[3] Fanon Frantz, Les damnés de la terre, Ed. Gallimard, 1991, page 264

[4] Ali Shariati, Histoire et destinée, op. cit., page 107

[5] Saïd Edward, L’orientalisme, L’Orient créé par l’Occident, le Seuil, 1987, page 350

[6] Ibid., page 347

[7] Ibid., page 349

[8] Ibid., page 348

[9] Fanon Frantz, Les damnés de la terre, op. cit., page 263-264

[10] Shariati Ali, Histoire et destinée, op. cit., page 107

[11] Ibid., page 108

[12] Fanon Frantz, Les damnés de la terre, op. cit., page 267

[13] Shariati Ali, Histoire et destinée, op. cit., page 108

[14] Ibid., page 91-92

[15] L’expression ne doit pas être comprise comme une insulte à l’égard des musulmans traditionalistes mais comme la volonté d’Ali Shariati de lutter contre une interprétation quiétiste de l’Islam. Pour lui la foi devait être un moteur de l’action social et politique et non une simple voie pour un salut individuel.

[16] Ibid., page 108

[17] Saïd Edward, L’orientalisme, l’Orient créé par l’Occident, op. cit., page 349

[18] Shariati Ali, Histoire et destinée, op. cit., page 106

[19] Saïd Edward, L’orientalisme, l’Orient créé par l’Occident, op. cit , page 348

[20] Ibid.

[21] Ibid.

[22] Ibid., page 350

[23] Shariati Ali, Histoire et destinée, op. cit., page 105-106

http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article3681