Le discours d’Obama au Caire constitue sans aucun doute un tournant décisif dans les relations entre les Etats Unis d’Amérique et le monde musulman.
Au delà du charisme d’Obama, de son éloquence indubitable et de cette sensation de sincérité profonde qui émane de lui et qui fait défaut à la majorité des politiciens de cette envergure, c’est à un Obama débordant de spiritualité et d’humanisme a qui nous avons eu affaire ce jeudi 4 juin 2009.
Il faudrait savoir reconnaître de prime abord que ce discours s’inscrit, en rupture avec tous les autres discours provenant des leaders américains et européens mais aussi et surtout de son prédécesseur G W Bush. Obama dans son discours du Caire a précisé avoir décidé de tourner une page de l’histoire marquée par la vision binaire et le rejet de l’Autre et a proposé un nouveau départ quant aux relations entre l’Occident et le monde musulman.
Ce discours est donc indéniablement historique.
D’abord parce qu’il déconstruit complètement la trop notoire théorie du « choc des civilisations » , qui, doit-on le rappeler, n’est pas restée de l’ordre de la théorie mais a bel et bien était concrétisée sur le terrain par la politique de l’ancienne administration Bush. Et puis, parce que sur le plan politique il contraste avec tous les autres discours, tenus jusqu’à présent sur ce thème, et où la langue de bois, voire parfois le « mépris » et l’arrogance culturelle ont toujours été de mise.
Obama a fait preuve d’un réel courage intellectuel et d’un profond sens du réalisme politique puisque la majorité des problèmes contemporains ont été soulevés, même les questions qui fâchent comme la démocratie des régimes arabo-musulmans, et ce, en martelant ce discours à l’intérieur d’un pays qui, le moins que l’on puisse dire, n’est pas le meilleur modèle en termes de démocratie et de droits humains.
Il est vrai qu’il faudrait du temps, beaucoup de patience et un brin de ténacité aussi pour que toutes ces promesses de réconciliation puissent se concrétiser ou du moins commencer à prendre forme. Mais il serait de mauvais goût et un tant soit peu abusif de ne pas voir dans ce discours une sincère volonté de changement et les prémisses d’une nouvelle volonté d’apaisement et de sérénité entre le monde Occidental et les Musulmans.
En effet, à l’heure où, l’islam, même sous des dénominations subterfuges d’islamisme ou de fondamentalisme, reste l’épouvantail préféré des politiques occidentales, Obama, dans ce discours fait preuve d’une véritable politique de « discernement » et replace l’islam et ses contentieux géopolitiques dans leurs registres respectifs. Et c’est dans ce sens que le début de son discours sur l’historique de l’islam a toute sa portée.
Obama ne fait pas comme le font certains, à savoir: nous « berner » avec l’âge d’or de l’islam, mais il fait à proprement dit une véritable « relecture historique » de l’apport de l’islam à la civilisation humaine, et de ce fait discrédite cette théorie – très en vogue actuellement chez certains représentants occidentaux – des racines exclusivement judéo-chrétiennes de l’Occident, et réaffirme ce que des historiens occidentaux n’ont cessé de redire : « Oui, l’Occident est redevable au monde islamique »[1]. Nous sommes donc loin ici des discours paternalistes, à relents colonialistes, que certains leaders occidentaux ont l’habitude de tenir aux populations musulmanes et où le rapport de force et l’humiliation sont devenus usuels.
Obama, par sa trajectoire personnelle, qu’il réitère à chaque occasion, de noir américain, ne peut pas rester insensible à cette politique de l’humiliation subie par les populations musulmanes, et son discours prouve qu’il a compris que c’était là le nœud du problème.
Il reste aussi que, sur le plan de la symbolique, le discours d’Obama au Caire est aussi précurseur quant à son approche sur les questions de la foi et des convictions religieuses. Obama diffère, voire se démarque de tous les autres leaders occidentaux quant à son approche de la foi en général, et de celle du respect des autres, et des musulmans en particulier.
Son rappel quant à l’importance de l’égalité femmes-hommes et des droits des femmes est un autre signe de démarcation par rapport au discours occidental, typique de l’ordre colonial, où s’imbriquent insidieusement racisme et sexisme. Il « dédramatise » aussi la question du voile des femmes musulmanes alors qu’en Europe –et actuellement au Québec – le débat sur cette question frise le délire et l’hystérie collective. Obama a bien compris que les femmes musulmanes, voilées ou pas -là n’est vraiment pas le problème – ont la possibilité de devenir des leviers importants des transformations radicales au sein même de la tradition islamique…
Enfin, son respect, sa revalorisation des convictions religieuses et son attachement personnel et imperturbable à la foi rejoint celui des musulmans qui ont toujours eu du mal à se faire comprendre par les Occidentaux sur ce point là. Un président des Etats Unis d’Amérique qui valorise la foi tout en se revendiquant moderne et en respectant les convictions religieuses des musulmans et leurs choix spirituels, c’est là un signal fort et déterminant, pour l’instauration d’un nouveau climat de confiance et d’espoir, indispensables à notre futur commun de civilisation humaine.
Mais Obama, ne fait pas que respecter le choix des musulmans. Il fait preuve d’une véritable empathie envers les musulmans du monde. C’est sa démarche de croyant, bercé depuis son jeune âge par un multiculturalisme familial et une ouverture sur le monde qui a façonné sa vision sur les Autres et qui fait de lui un véritable humaniste animé d’une spiritualité qui transcende tous les particularismes religieux.
C’est bien là aussi le moment fort de son discours, où il aspire à une paix mondiale se nourrissant de toutes les valeurs universelles et de toutes les traditions religieuses. Certains y verront une rhétorique qui relève plus de l’idéologie utopique et que contredit une réalité allant à contre courant de ce beau discours angélique. Certes, on peut « douter » et rester sceptique devant tous les dégâts commis au nom de la démocratie et de la « realpolitik » internationale, mais outre la cohérence et le pragmatisme du parcours d’Obama, ce sont aussi les métamorphoses sociétales, crise économique, échec de l’ingérence militaire et de la politique impérialiste inclus, qui font que l’ère du changement a sonné.
Le conflit israélo-palestinien reste certes l’un des grands défis de cette nouvelle page de l’histoire qui ne pourra être vraiment tournée sans qu’il y ait une véritable volonté politique des Etats Unis à résoudre ce problème qui reste au cœur de toute la sensibilité musulmane. Obama, dans son discours, a là aussi, fait preuve de courage. Certes, l’on aurait aimé l’entendre plus insistant sur les souffrances des Palestiniens, mais force est de constater que ses paroles tranchent par rapport à ses prédécesseurs et à celles des responsables européens qui lors des moments forts du massacre de Gaza ont fait preuve, quant à eux, d’une pitoyable apathie politique.
Il reste enfin, que ce n’est pas le seul discours d’Obama, malgré sa sincérité et ses promesses séduisantes, qui va régler les problèmes du monde arabo-musulman. Loin de là, les musulmans : régimes politiques, élites et peuples doivent ensemble se pencher sur les véritables problèmes en instance dans leurs sociétés respectives. Et ils sont malheureusement fort nombreux. Il faudrait, pour cela, l’émergence d’une nouvelle « conscience critique » musulmane capable de relever des défis aussi divers qu’urgents tels que ceux de la gouvernance démocratique, des droits humains, de l’éducation et aussi de l’approche réformiste des questions relatives à l’islam et de sa contextualisation. Tout cela, évidemment ce n’est pas Obama qui va le résoudre, quoique, à travers son discours on perçoit des « passerelles » qui pourraient aider à y arriver.
N’empêche que ce discours de l’espoir nous a donné l’envie d’y croire. Le temps d’un discours. D’espérer et de revendiquer ce qu’Obama incarne sans aucun doute : une modernité spirituelle et métissée…
Asma Lamrabet
Le Soir, 9 juin 2009