«Alors que l’incompréhension entre les différentes cultures de la rive méditerranéenne n’a, semble t-il, jamais été aussi grande, institutions européennes et associations se mobilisent contre I’lislamophobie», afirme Laetitia Grotti.
Article sur le Manifeste contre l’Islamophobie, lancé par la FUNCI.
Aujourd’hui, la vague en vogue en France et, plus largement dans les pays occidentaux, veut que l’Islam avec un I majuscule soit un problème tout aussi majuscule en ce qui concerne (cocher au choix, multiples réponses autorisées) : la démocratie, la laïcité, la paix, les droits de l’homme, ceux de la femme, les valeurs occidentales … Pas un plateau télé où l’on ne se demande «s’il faut avoir peur de lIslam «, si «l’Islam est compatible avec la laicité «…
De même, s’étalent sur les rayons des librairies toute une série de livres «qui paraissent simultanément et qui alertent le lecteur européen sur le danger de l’islamisme lancé «à l’assaut des démocraties», dressé avec «les Etats-Unis» dans une «alliance contre l’Europe». Les hebdomadaires ne sont pas en reste, et offrent régulièrement à leur public des dossiers sur «la pieuvre islamiste » et sur tout «ce que l’on cache sur l’Islam «.
Généralement, chacun y va de son docte couplet sur la vraie nature de cette religion, à coups de versets coraniques, bien souvent tirés de leur contexte historique. Ce consensus négatif ratisse large, d’une extrême droite hostile à l’immigration à une gauche ultra laïque en passant par certains penseurs religieux, chrétiens, juifs ou musulmans (à l’instar d’un Ibn Warraq et son livre pamphlétaire «Pourquoi je ne suis pas musulman»). Les plus optimistes adjurent l’Islam de se réformer, les plus pessimistes dénoncent son irréformabilité quasi génétique, mais tous font le même constat d’une présente incompatibilité. Pourtant, loin des strass et des paillettes, de nombreuses institutions et associations luttent contre l’islamophobie ambiante.
Dialogue interculturel
Gageure, direz-vous ? Sans doute. D’autant qu’avant le 11 septembre, leurs travaux consacrés à la question du dialogue interculturel sont passés quasiment inaperçus et ne concernaient pratiquement personne. Et puis, les événements se sont précipités. Des expressions souvent totalement banalisées, galvaudées, empruntées à des thèses scientifiquement discutables comme «choc des civilisations», «guerres de religions», «conflit entre le bien et le mal «, «affrontement des croyances», ont remplacé des analyses sérieuses, approfondies et documentées.
Jusqu’à ce que quelques organisations, quelques groupes, quelques intellectuels se lèvent et tentent de poser enfin les préalables sérieux à une discussion tangible. En adoptant notamment une nouvelle approche. En effet, au lieu de s’intéresser aux textes, tous ont préféré s’intéresser aux femmes et aux hommes qui composent aujourd’hui le monde musulman. La question en effet n’est pas de savoir ce que dit vraiment le Coran, avec exégèse théologico-linguistique et conflits d’experts. Car les experts et les savants sont eux aussi en conflit.
Mais plutôt de coinprendre le monde musulman, loin des passions entretenues par une certaine presse avide de titres vendeurs. Or, ce qui fait bouger ce monde aujourd’hui, ce ne sont pas les théologiens, mais des hommes et des femmes concrets, des acteurs économiques, des gens qui, par leur pratique ou leurs écrits, font justement l’islam réel. Les sociétés du monde musulman évoluent en profondeur, et en particulier les classes moyennes aujourd’hui en ascension, de la Turquie à l’Arabie Saoudite.
Certes, ce monde musulman est également en prise avec les tensions et les conflits qui existent entre fondamentalistes et réformistes. Personne aujourd’hui ne saurait dire celui qui l’emportera, mais ces derniers sont assurément porteurs des aspirations d’une société en transformation.
Si le fondamentalisme est de retour et dénonce tour à tour «les mauvais musulmans» et les «différents complots américains et sionistes», n’est-ce pas précisément parce que la modernisation des sociétés musulmanes s’est effectuée ? Tous les indicateurs sociologiques (taux de fécondité, âge du mariage, passage de la famille étendue à la famille restreinte, niveau d’éducation, en particulier chez les femmes) montrent que les sociétés musulmanes -certes fort diverses– se rapprochent de l’Occident.
Partant de ces réalités souvent ignorées du gran public, une des plus grandes associations oeuvrant contre l’islamophobie est la Fondation pour la Culture Islamique basée à Madrid. Pour ses membres, le constat est malheureusement assez simple: «Jamais la situation internationale n’a été aussi tendue (…), jamais non plus n’on eu lieu autant de manifestations d’intolérance et de barbarie, commises par une minorité qui agit arbitrairement au nom de l’Islam (…).
Le fossé creusé durant des siècles de malentendus et de confrontations, entre ce que l’on pourrait appeler l’Orient et l’Occident, ou même le Nord et le Sud, devient chaquefois plus profond». Face au silence institutionnel et intellectuel qui domine aujourd’hui, cette fondation lance un appel à la réalisation de toutes sortes de manifestations culturelles.
Elle enjoint des personnes liées au monde de l’art, de la culture, de la pensée et de la politique à s’investir moralement dans cette lutte car seules, elles sont capables de créer des courants d’opinion et d’attirer l’attention sur les problèmes graves de confrontation culturelle auxquels nous sommes en train d’assister.
La Fondation pour la Culture islamique vient de lancer un manifeste dans lequel des mesures concrètes sont proposées tant dans le domaine de l’enseignement, de l’information, de la culture, de l’économie ou encore dans le domaine administratif. En amont du travail de ces associations, le Conseil de l’Europe et bien évidemment l’UNESCO jouent les têtes de pont de ce mouvement. Avec pour mot d’ordre: la culture, en tant que vecteur de rapprochement des peuples. En effet, sa force ne tient-elle pas au fait qu’elle est capable de mobiliser autour d’une même cause celle, par exemple, de la coexistence pacifique, de la paix ou de l’échange – des individus différents, des pays différents et des peuples différents ?
Conscients de cette réalité, les différents ministres de la Culture des Etats membres du Conseil de l’Europe se réunissaient les 17 et 18 février à Strasbourg pour débattre de leur rôle et de leur responsabilité dans le dialogue interculturel.
Un plan d’action avait par ailleurs été mis en place l’an dernier – pour les deux années à venir – dans le cadre d’un projet intitulé «Dialogue interculturel et prévention des conflits».
Mais pour atteindre l’objectif fixé de faire de la diversité des cultures et des traditions européennes un atout capital «du vivre ensemble», encore faut-il que ces ministres répondent cette semaine à trois questions principales: comment passer de la connaissance empathique de l’Autre au dialogue enrichissant ? Comment garantir la compréhension des difficultés et des problèmes (de leurs causes, de leurs racines et de leur complexité) ‘? Comment obtenir l’engagement éclairé et ferme pour les résoudre et les prévenir?
Réponses en octobre prochain lors de la deuxième phase de ce colloque, Ô combien ambitieux. Notons toutefois que des avancées notables encouragent à l’optimisme puisqu’un dialogue constructif s’est établi entre les secrétariats généraux du Conseil de l’Europe et de la Ligue arabe, et des relations concrètes ont également été établies avec l’Organisation de la conférence islamique.
- (1) Islamisme et Etats-Unis – Une alliance contre l’Europe, d’Alexandre Del Valle et de Pierre-Marie Gallois/ Jihad humanitaire, d’Abdel-Rahiiian Ghandour/ Géographie de l’apocalypse, la démocratie à l’épreuve de l’islamisme, de Frédéric Encel/ La France en danger d’islam, de René Marchand, ou encore le désormais célèbre La Rage et l’orgueil d’Oriana Fallaci…
Source: Tel-Quel, 21/02/2003