Notre collaborateur, le calligraphe Abdessatar Jmei, expose à nouveau son oeuvre. Cette fois-ci elle est installée au siège du Conseil de l’Europe à la ville de Strasbourg jusqu’au 22 mai.
La phaintasie d’un nomade
Avec ce peintre tunisien, nous pénétrons dans le domaine éclectique de la calligraphie. Les outils de cette création artistique sont le calame et le pinceau. Le Franco-Tunisien Abdessatar Jmei le proclame quand il annonce » je parle avec ma main, tu écoutes avec tes yeux et nous nous comprenons ».
L’ensemble de son œuvre est organisé autour de tableaux qui sont des poèmes écrits à coups de pinceau lesquels, sous l’apparence de la légèreté, jettent des étincelles très loin, en profondeur. Son graphisme est proche de l’art du tapa, cette étoffe faite d’écorce de murier battue pour fabriquer des vêtements, des couvertures, des parois d’habitations, des masques et des objets de culte, cette forme de l’expression artistique dans les iles du Pacifique. Mais Tunisien dans l’âme, Abdessatar lui préfère la morue de palmier ou les feuilles de liliacées découvertes lors de son arrivée en Alsace en 1983 pour des études d’architectures. L’appel du Sud supplée l’appel du Pacifique. La résonnance de la Méditerranéen se manifeste chez lui en liaison avec un style cursif et rythmique pour créer de nouvelles formes décoratives caractérisées par une apparente facilité de la touche qui ont la grâce des miniatures orientales.
Combien est odorante la comparaison que ce peintre fait entre son art et celui du sculpteur de flacon de parfum : pour créer, ils deviennent des metteurs en scène. De fait, il est devenu expert dans le coup de patte pour faire circuler concept et mot dans les figures colorées : « une calligraphie réussie est le témoignage d’une véritable histoire d’amour entre le roseau et le papier. L’encre est le verre de champagne qui célèbre la rencontre ou la naissance d’une création ».
Abdessatar crée des œuvres qui appellent la métaphore musicale et la danse africaine dont les formes allongées ont un rapport direct avec les totems des tribus primitives. Les couleurs sont posées les unes sur les autres et entrent en contact intimes les unes avec les autres, elles communiquent, se tachent mutuellement, se renforcent ou s’atténuent par un entrelacement et un chevauchement volontariste.
Les processus qui régissent l’assemblage calligraphique participent du détournement vers un nouvel objet pictural. C’est la vibration d’innombrables touches qui rejoignent l’arabesque, pleines de fraicheur et de vivacité.
C’est ainsi qu’Abdessatar prend le chemin de Behzâd de Herat, le maitre de la miniature persane, avec son code allégorique, Coloriste exceptionnel, il mêle le trait traditionnel à la recherche de l’expression de son monde intérieur étrange et fascinant. Sa nature artistique, généreuse et exubérante, révèle une surréaliste imagination au service d’une virtuosité impétueuse.
Toutefois l’intelligence picturale demeure aussi un plaisir. Le décryptage du rébus visuel : «Marie, Myriam, Mariam » équivaut à une offrande esthétique et spirituelle avec ses aplats de couleurs à la limite de l’abstraction. Le sens de la spatialité s’allie au goût subtil pour transfigurer, par un recours géométrique à des entrelacs d’une haute technicité, une calligraphie emblématique d’un prénom appartenant aux trois religions du livre ; « Myriam ». Ce symbole graphique émerge de son fond clair tant par la qualité du trait que par l’utilisation monochromatique de la couleur bleue chère à Soliman 1er dans sa coupole du Rocher à Jérusalem. Cette mise en valeur rehausse le mystère lumineux de l’œuvre d’Abdessatar qui rappelle la graphie souple utilisée dans les longs textes coraniques de la salle des Ambassadeurs du Palais des Nasrides Alhambra à Grenade.
L’espace pictural du plasticien devient espace du rêve à la recherche de la vision de Lévi-Strauss « La ressemblance n’existe pas en soi : elle n’est qu’un cas particulier de la différence, celui où la différence tend vers zéro.» dans cette mouvance de l’esprit, le peintre fait reculer les frontières de l’incommunicable. Dans une délicieuse superposition des temps anciens et des temps nouveaux, Abdessatar a besoin de partager, de faire voyager nos esprits.
Par Gérard Cardonne, écrivain