Entretien réalisé par le magazine Jardins du Maroc au Président de la Fondation de la Culture islamique, Monsieur Cherif Abderrahman Jah en 2008, dans sa onzième édition. La thématique était dédiée aux jardins d’Al-Andalus et de Fès.
JDM Le dialogue Euro-islamique a besoin aujourd’hui plus que jamais d’être renforcé. Depuis sa création votre fondation oeuvre dans ce sens. L’exposition “Le jardin andalou” organisée par votre fondation a rencontré un réel succès auprès du public marocain et dans les autres pays où elle a été montrée. Comment avez-vous eu l’idée d’organiser un tel projet?
CHAJ Oui, le dialogue euro islamique est plus nécessaire que jamais, mais pour cela il est important de reconnaître certaines dettes culturelles acquises par l’Europe envers la civilisation islamique. Et cela ce fit de façon particulière à travers al-Andalus, l’Espagne musulmane.
Nous ne devons pas oublier que lorsque al-Andalus était au coeur même du développement économique et scientifique pendant le Moyen Age, l’Europe sombrait dans l’ignorance.
Aujourd’hui il est impossible de nier l’importance extraordinaire qu’ont acquis la science, la philosophie, l’art et d’autres aspects de al-Andalus dans le développement de la culture européenne, servant même à jeter les bases de la Renaissance. C’est dans ce sens d’ailleurs que notre Fondation de Culture Islamique (FUNCI) rédigea en 1991 la Recommandation 1161 au sein du Conseil de l’Europe, sur “La contribution de la civilisation islamique à la culture européenne” après organiser un grand colloque international à Paris sur ce même thème en collaboration avec l’Institut du Monde Arabe et l’UNESCO. Cette Recommandation poussait à reconnaître le grand apport de la culture islamique en Occident, trop longtemps ignoré, et à le mettre en valeur dans les programmes culturels et éducatifs européens.
Pour autant, nous avons choisi de faire ce projet sur les jardins, car ceux-ci représentent le raffinement et l’éclosion culturelle par excellence. Mais la culture andalouse ne se limite pas à cet aspect. Il reste tout un énorme héritage manuscrit, archéologique et ethnographique à découvrir.
JDM Pensez-vous que le jardin pourrait être un excellent médiateur pour une meilleure connaissance de la culture islamique?
CHAJ Le jardin représente parfaitement la grandeur de la civilisation musulmane. On y retrouve tout dedans, il est basé sur l’esprit même du Coran. Il est la lumière du Coran. On y retrouve le dialogue, la mystique, l’art, la poésie, l’hygiène, mais aussi la recherche botanique et la gestion des ressources naturelles, notamment de l’eau. Dans ce sens, le jardin andalou incarne un message à transmettre, non seulement en tant que symbole du passé, mais aussi en tant qu’exemple pour les défis que nous pose l’avenir.
Le jardin contient tout ce dont a besoin l’être humain. C’est un monde plein de sagesse pour qui sait regarder, écouter et chercher.
Aiguiser nos sens nous aide à comprendre et connaître, et la connaissance contribue à trouver l’équilibre et la santé. Le jardin est un parfait médiateur de la culture islamique car il représente la paix, as-salam, et que la paix est au coeur même de la tradition musulmane, contrairement à ce que l’on prétend trop souvent nous faire croire. Un jardin islamique nous incite à l’échange ainsi qu’à la vie sociale et familiale. Et ce, non seulement entre musulmans, mais aussi en partage avec le reste de l’humanité, comme le veut le Coran même.
FONDATION DE LA CULTURE ISLAMIQUE
JDM Pourriez-vous nous présenter la fondation de culture islamique?
CHAJ L’objectif principal de notre fondation est la recherche du patrimoine historique et artistique musulman, dans le but de le faire connaître et de sensibiliser l’Occident envers son importance, afin de combattre les préjugés et les lieux communs qui, malheureusement assombrissent les relations euro- islamiques depuis des siècles.
Nous recherchons la racine, la profondeur des choses, car la connaissance nourrit l’intellect et l’esprit des personnes, en contribuant à son développement.
Nous essayons de montrer la transcendance et le sens universel de l’Islam et de sa civilisation, au delà d’une certaine vision fanatique ou folklorique qui parfois domine le panorama actuel.
JDM Vous venez d’ouvrir une antenne de votre fondation à Rabat. Ceci est un signe fort quand à l’intérêt que porte votre fondation au Maroc. Avez-vous des projets en partenariat avec le Maroc et plus particulièrement dans le domaine du jardin?
CHAJ Notre fondation a pour but principal, comme je vous le disais, la sensibilisation en Espagne et en Occident envers les valeurs de la civilisation islamique, et c’est pour cela que nos projets ciblent l’Espagne, mais aussi d’autres pays européens avec lesquels nous avons des partenariats, et qui nous demandent souvent d’y amener nos projets.
Nous pouvons vous assurer avec satisfaction, après 25 ans de travail dans le domaine de la vulgarisation culturelle, que l’Espagne se montre aujourd’hui particulièrement fière de son patrimoine hispano musulman, ou andalou.
Le travail ne fut pas toujours facile. Il est certes, cependant, que l’enthousiasme et la recherche des valeurs authentiques finissent par vous aider à surmonter les difficultés et par offrir des résultats positifs.
Actuellement nous travaillons avec de différents pays arabo musulmans comme l’Egipte, le Qatar, la Syrie, etc. Dans le cas du Maroc, qui est si proche historiquement et géographiquement de l’Espagne, il est indéniable qu’il est porteur d’une grande richesse culturelle, ainsi que d’une tradition d’ouverture et de liberté. Il est l’héritier le plus direct de cette importante empreinte andalouse partagée pendant des siècles, ce qui uni le Maroc et l’Espagne en une relation non seulement d’amitié, mais de fraternité.
Nous avons par ailleurs constaté la grande sensibilité du public marocain envers cette initiative, ce qui nous a encouragé à ouvrir une antenne de notre fondation à Rabat, et travailler en partenariat avec des ONG et des institutions marocaines, qui se montrent très réceptives.
PROGRAMME MED-O-MED
JDM Votre fondation a initié le projet “Jardins Andalous en Méditerranée”. Quel écho a-t-il rencontré auprès des gouvernements et ONG méditerranéens? Avez-vous déjà avec certains pays des partenariats dans ce sens?
CHAJ “Jardins Andalous en Méditerranée” est la continuation de ce projet sur les jardins, dirigé par la FUNCI avec toute une équipe d’experts espagnols dans le domaine de l’archéologie, la botanique et l’histoire, dans le cadre d’un nouveau projet de Coopération internationale: Med-O-Med, paysages culturels en Méditerranée et au Moyen Orient. Il s’agit de restaurer certains jardins historiques d’origine islamique, ainsi que de construire de nouveaux jardins inspirés sur la tradition arabo musulmane, selon les pays et les possibilités. Aussi, il consiste en la récupération d’anciens jardins botaniques ou d’essai, pour la plupart datant de l’époque coloniale, dans un but scientifique, culturel et éducatif.
Dans ce sens nous avons pour l’instant des projets de jardins d’inspiration andalouse à Tolède (Espagne) et Alep (Syrie), en collaboration avec de différentes institutions de ces deux pays.En ce qui concerne le Maroc, nous avons déjà initié un projet de coopération avec la ville de Rabat et l’INRA (l’Institut National de la Recherche Agronomique) pour la réhabilitation du Jardin d’Essais Botaniques de cette même ville, un magnifique jardin d’acclimatation crée par Le Forestier à l’époque du Protectorat français dans un but de recherche agronomique. Le jardin, dont une partie des travaux ont été déjà entamés avant notre partenariat avec l’INRA, comptera sur tous les atouts botaniques, éducationnels et scientifiques pour devenir le premier Jardin Botanique du Maroc, à l’image des grands jardins botaniques dans le monde.
Dans ce contexte, la FUNCI avec son équipe scientifique en collaboration avec l’Université de Castilla-La Mancha en Espagne, a réalisé au Jardin d’Essai un projet de jardin hispano arabed’inspiration almohade avec une collection botanique de l’époque, ainsi que la restauration d’un pavillon de style mauresque à but culturel, dont les travaux seront bientôt entamés. En même temps, la FUNCI contribue à l’expertise en ce qui concerne les collections végétales pour enrichir ce grand jardin historique d’environ 17 hectares, afin de ne pas trahir sa fonction initiale: la mise en oeuvre d’un jardin d’acclimatation pour des espèces d’intérêt économique.