Voici le texte intègre de la Résolution 1510 (2006) promue par l’Assemblée Parlementaire su Conseil de l’Europe, au sujet de la Liberté d’expression et respect des croyances religieuses.
Le dernier 18 mai 2006 la Fondation de Culture Islamique assistait en tant qu’organisation invitée, à une audition tenue au Sénat de Paris, organisée par l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe, durant laquelle différentes personnalités du monde de la culture, la religion, la pensée et le journalisme débatirent à ce sujet.
Dans ce documment, le Conseil de l’Europe fait une mention concrète au projet de l’Alliance de Civilisations, lancé par le Président du gouvernement espagnol M. José Luis Rodríguez Zapatero en 2004, et approuvée par le Secrétaire Général des Nations Unies, M. Kofi Annan.
Résolution 1510 (2006)
1. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe réaffirme qu’une société ne saurait être démocratique sans le droit fondamental à la liberté d’expression. Le progrès de la société et le développement de tout individu dépendent de la possibilité de recevoir et de partager des informations et des idées. Cette liberté s’applique non seulement aux idées qui sont bien accueillies ou réputées inoffensives mais aussi à celles qui peuvent choquer, offenser ou perturber l’Etat ou une partie de la population, conformément à l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’Homme.
2. La liberté de pensée, de conscience et de religion est une exigence de toute société démocratique et une des libertés essentielles qui permettent aux personnes de définir leur perception de la vie et de la société humaines. La conscience et la religion sont des éléments fondamentaux de la culture humaine. A ce titre, elles sont protégées en vertu de l’article 9 de la Convention européenne des Droits de l’Homme.
3. Une société démocratique doit néanmoins autoriser, au nom de la liberté de pensée et d’expression, un débat ouvert sur les sujets relatifs à la religion et aux croyances. L’Assemblée rappelle à cet égard sa Recommandation 1396 (1999) « Religion et démocratie ». Les sociétés démocratiques modernes se composent de personnes aux religions et aux croyances diverses. Les attaques visant des personnes et motivées par des considérations religieuses ou raciales ne peuvent être tolérées mais les lois sur le blasphème ne sauraient être utilisées pour restreindre la liberté d’expression et de pensée.
4. L’Assemblée souligne la diversité culturelle et religieuse de ses Etats membres. Les chrétiens, les musulmans, les juifs et les membres de nombreuses autres religions, de même que les personnes sans religion, sont chez eux en Europe. Les religions ont contribué aux valeurs, aux idéaux et aux principes spirituels et moraux qui forment le patrimoine commun de l’Europe. A cet égard, l’Assemblée souligne l’article 1 du Statut du Conseil de l’Europe, qui établit que le but du Conseil de l’Europe est de réaliser une union plus étroite entre ses membres afin de sauvegarder et de promouvoir les idéaux et les principes qui sont leur patrimoine commun.
5. L’Assemblée souligne sa volonté de faire en sorte que la diversité culturelle devienne une source d’enrichissement mutuel et non de tension, grâce à un véritable dialogue ouvert entre les cultures, fondé sur la compréhension et le respect mutuels. L’objectif général doit être de préserver la diversité au sein de sociétés ouvertes et inclusives fondées sur les droits de l’homme, la démocratie et la prééminence du droit, en encourageant la communication et en favorisant les compétences et les connaissances nécessaires pour mener une coexistence pacifique et constructive dans les sociétés européennes, entre les pays européens et entre l’Europe et ses régions voisines.
6. Les réactions à des images perçues comme négatives, relayées par des livres, des films, des dessins, des peintures ou l’Internet, ont récemment été à l’origine de vastes débats sur la question de savoir si – et le cas échéant, dans quelle mesure – le respect des croyances religieuses justifie de limiter la liberté d’expression. Les questions relatives à la responsabilité, à l’autorégulation et à l’autocensure des médias ont également fait débat.
7. Le blasphème a une longue histoire. L’Assemblée rappelle que les lois punissant le blasphème et la critique des pratiques et des dogmes religieux ont souvent eu des incidences négatives sur le progrès scientifique et social. La situation a commencé à changer avec les Lumières, qui ont lancé un mouvement de laïcisation. Les sociétés démocratiques modernes sont généralement laïques et plutôt attachées aux libertés individuelles. Le récent débat sur les caricatures danoises a soulevé la question de ces deux perceptions.
8. Dans une société démocratique, les communautés religieuses sont autorisées à se défendre contre les critiques et les railleries dans le respect de la législation et des normes relatives aux droits de l’homme. Il incombe aux Etats de favoriser l’information et l’éducation du public dans le domaine des religions afin d’affiner ses connaissances et son esprit critique en la matière, conformément à la Recommandation 1720 (2005) de l’Assemblée, « Education et religion ». Les Etats doivent en outre concevoir et mettre en œuvre avec détermination des stratégies solides comportant des mesures législatives et judiciaires appropriées, pour lutter contre la discrimination et l’intolérance religieuses.
9. L’Assemblée rappelle également que la culture du débat critique et de la liberté artistique possède une longue tradition en Europe et est considérée comme un élément positif et même nécessaire au progrès individuel et social. Seuls les systèmes totalitaires les craignent. Le débat, la satire, l’humour et l’expression artistique doivent donc bénéficier d’un degré élevé de liberté d’expression et le recours à l’exagération ne devrait pas être perçu comme une provocation.
10. Les droits de l’homme et les libertés fondamentales sont universellement reconnus, notamment en vertu de la Déclaration universelle des droits de l’homme et des pactes internationaux des Nations Unies. En revanche, ces droits ne bénéficient pas d’une mise en œuvre universellement cohérente. L’Assemblée doit lutter contre tout abaissement de ces normes. L’Assemblée salue l’initiative du Secrétaire général des Nations Unies en faveur d’une alliance des civilisations visant à lancer une action concertée au niveau des institutions et de la société civile dans le but de mettre fin aux préjugés, aux incompréhensions et à la polarisation. Un véritable dialogue a pour conditions préalables le respect authentique et la connaissance d’autres cultures et sociétés. Les valeurs telles que le respect des droits de l’homme, la démocratie, la prééminence du droit et la responsabilité sont le produit de la sagesse, de la conscience et du progrès collectifs de l’humanité. L’objectif est d’identifier les racines de ces valeurs dans les différentes cultures.
11. Lorsqu’une affaire concrète impose de mettre en balance des droits de l’homme contre d’autres droits de l’homme, les juridictions et les législateurs nationaux disposent toujours d’une marge d’appréciation. A cet égard, la Cour européenne des Droits de l’Homme a établi que les possibilités d’imposer des restrictions à la liberté d’expression sont très limitées dans le domaine du discours politique ou des questions d’intérêt général, mais généralement plus importantes lorsqu’il s’agit de questions susceptibles d’offenser des convictions intimes dans le domaine de la morale ou de la religion. Ce qui est de nature à offenser gravement des personnes d’une certaine croyance religieuse varie considérablement dans le temps et dans l’espace.
12. L’Assemblée est d’avis que la liberté d’expression, telle qu’elle est protégée en vertu de l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, ne doit pas être davantage restreinte pour répondre à la sensibilité croissante de certains groupes religieux. Dans le même temps, l’Assemblée rappelle fermement que les discours incitant à la haine à l’encontre de quelque groupe religieux que ce soit ne sont pas compatibles avec les droits et libertés fondamentaux garantis par la Convention et les précédents de la Cour.
13. L’Assemblée invite les parlements des Etats membres à tenir des débats sur la liberté d’expression et le respect des croyances religieuses, et les parlementaires à rendre compte à l’Assemblée des résultats de ces débats.
14. Elle encourage les communautés religieuses en Europe à débattre de la liberté d’expression et du respect des croyances religieuses au sein de chaque communauté, et à entretenir un dialogue avec d’autres communautés religieuses afin de développer un code de conduite et une conception commune de la tolérance religieuse, qui est nécessaire dans une société démocratique.
15. L’Assemblée invite également les professionnels des médias et leurs organisations à débattre de l’éthique des médias à l’égard des croyances et des sensibilités religieuses. Elle encourage la création, le cas échéant, d’organes de réclamation, de médiateurs ou d’autres organes d’autorégulation dans le secteur des médias, qui seraient chargés d’étudier les moyens de recours applicables en cas d’offense à des croyances religieuses.
16. L’Assemblée encourage le dialogue interculturel et interreligieux fondé sur les droits de l’homme universels, impliquant – sur la base de l’égalité et du respect mutuel – la société civile ainsi que les médias, et visant à promouvoir la tolérance, la confiance et la compréhension mutuelle qui sont essentielles à l’édification de sociétés solidaires et à la consolidation de la paix et de la sécurité au niveau international.
17. L’Assemblée encourage les organes du Conseil de l’Europe à œuvrer activement à la prévention du discours de haine dirigé contre différents groupes religieux ou ethniques.
18. L’Assemblée décide de revenir sur cette question sur la base d’un rapport sur la législation concernant le blasphème, les insultes à caractère religieux et l’incitation à la haine à l’encontre de personnes au motif de leur religion, après avoir fait le point sur les différentes approches en Europe, y compris l’application de la Convention européenne des Droits de l’Homme, les rapports et les recommandations de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) et de la Commission de Venise et les rapports du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe.